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dis, à quoi ça sert les contes ?

écrit par Cindy Sneessens pour le site Racontance en 2019

À toi conteur et conteuse, qui te laisse parfois surprendre  par le découragement, ce texte, témoignage d'une histoire vraie, pour se rappeler la puissance de la magie des contes et la joie d'en être serviteur.

 

Le Dalaï Lama a dit  " La planète n’a pas besoin de gens qui réussissent. La planète a désespérément besoin de plus de faiseurs de paix, de guérisseurs, de conteurs d’histoires et de passionnés de toutes sortes ".

Jolie phrase n’est-ce pas ? Qui donne des ailes, qui justifie le fait de sacrifier tant de besoins matériels pour persévérer dans ce métier magnifique, celui de réveiller l’émerveillement…

Et pourtant, comme de nombreux artistes, j’en ai traversé des plaines désertes où règne l’implacable doute. 

Cette envie de tout plaquer, de « faire un vrai métier » comme disent les grands. 

 

Henri Gougaud, mon ami, mon mentor, m’a toujours dit « oublie-toi, deviens la marionnette de ces grands oiseaux invisibles que sont les contes. »

Le chemin est long et parfois difficile à se laisser faire, vous savez….

Heureusement, il est une joie sacrée qui comme le printemps fait grimper la sève au cœur, qui sans cesse revient pour que danse la foi, elle est faite de petits éclats volés à un firmament de diamants étoilés…

En voici un que je voudrais vous partager :

 

C’est un samedi pluvieux. C’est l’anniversaire de Nina. L’année passée, ses parents m’avaient invitée avec mes histoires pour son anniversaire. Cette année, c’est elle qui l’a demandé. Elle a 9 ans aujourd’hui cette petite fée.

Quand j’arrive, les parents se jettent dans mes bras « Notre sauveuse »…  

Ils sont 30 enfants, enfermés dans la maison, je souris, compatissante.

Je m’installe. La magie des contes devance ma voix. Ils observent tables, fauteuils et lumières former le cercle.  Ils m’aident, ferment les rideaux, s’assoient déjà, impatients.

Nous voilà partis pour une heure de contes… 

La séance est finie et le soleil est revenu dehors. Bonheur. Ils s’en vont crier et courir sur l’herbe tendre, la vie est belle !

 

Moi, je m’assois devant la cheminée. Axel, le papa, m’apporte un verre de vin, c’est le moment de souffler, de rire entre grands, la vie est belle !

Je n’ai pas le temps de porter mon verre à mes lèvres. Une main se pose sur mon épaule. C’est Liam, un des invités de Nina.

- Cindy tu veux bien m’en raconter encore une ? (Il s’assied à mes pieds).

- Liam, tu viens d’entendre des histoires pendant une heure. Tu ne préfères pas aller te défouler avec les autres ?  À mon avis, tu ne pourras plus te concentrer le temps d’une histoire supplémentaire 

- Je sens que j’en ai besoin ! (Il me sourit sous ses boucles blondes.)

Je voulais vraiment lui dire non. Mais…  J’ai senti la force des contes répondre à ma place.

- Laquelle tu veux ?

- L’histoire de Sinisalo, tu l’avais racontée l’année passée…

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10 minutes plus tard,  l’histoire est terminée.

- Et maintenant tu me racontes quoi ?

- (avec un hoquet de surprise) Encore ?

- Oui ! (affirmatif et sans discussion possible)

- Laquelle ?

- La vieille louve et l’enfant, tu l’avais racontée l’année passée…

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Un petit quart d’heure plus tard, l’histoire est terminée. Liam n’a pas bougé. 

- Et maintenant, tu me racontes quoi ?

- Tu es sérieux ? Tu en veux encore ?

- Oui !

- Laquelle ?

- Tu nous dis toujours que les histoires décident elle-même de venir pour qui en a besoin. Alors, je voudrais entendre celle qui vient.

Je lui raconte encore une histoire de 10 minutes, celle de l’arbre généreux.

Cette fois, dès que je finis, pour éviter toute demande supplémentaire (et avec un clin d’œil d’envie à mon verre de vin), je lui dis :

- Maintenant, c’est fini Liam, tu as eu ce dont tu avais besoin.

 

- Dis Cindy, elles sont vraies ces histoires ? 

- Je ne sais pas Liam, je crois que oui. Mais le mieux serait que tu leur demandes toi-même, elles sont dans ton cœur maintenant, tu peux les visiter quand tu le souhaites.

- Merci 

Ce n’est pas moi qu’il regarde en remerciant, il regarde plus haut que moi. Et je sens cette force inébranlable, celle qui s’est servie de moi, frémir du plaisir du travail accompli. 

Moi, je suis encore inconsciente de ce qui vient de se passer. Je suis juste émue et impressionnée par le lien d’amour qui vient de se passer entre un enfant et les contes…

Liam s’en va courir sous le soleil. Je bois mon verre. 

 

Arrive une jolie trentenaire.

- Je suis la maman de Liam (elle a l’air très émue).  Je l’ai regardé écouter vos histoires…

- Je n’ai jamais vu un enfant aussi attentif.  Il est incroyable votre fils. Quelle concentration !

Elle reste  debout, me regarde en silence. Puis sort de sa poche une boite de médicament.

- Ce matin, j’étais chez une psy avec Liam. Ce n’est pas la première fois que j’en vois. Son verdict a été le même que les précédents : « votre enfant souffre d’un trouble déficitaire de l’attention et d’hyperactivité…  Si vous ne le médicalisez pas, il ne s’en sortira jamais.  D’ailleurs, pour l’anniversaire de cet après-midi, vous devez les lui donner. Sinon, il sera infernal. »

Elle a les yeux mouillés. Elle me dit qu’elle a résisté jusqu’à aujourd’hui. Elle se sent tellement impuissante à aider son enfant qu’elle a décidé d’accepter les injonctions des psys et de médicaliser son fils. Mais pas pour cet aprèm. Elle a préféré venir avec lui et ne les lui donner qu’en cas de crise. Demain elle commencera…. 

Quelques larmes, de soulagement, coulent sur sa joue.

- Liam m’avait déjà dit que les professeurs ne l’intéressaient pas assez pour qu’il y fasse attention. Je croyais qu’il faisait un caprice…

 

 S’en est suivie une discussion devant la cheminée (et avec un bon verre de vin).

Je lui ai parlé, de moi aussi qui ai été jugée « caractérielle - c’était le mot à la mode il y a 30 ans » par les psys. Deux ans d’enfermement dans un pensionnat de redressement. Deux ans inutiles et durs. Deux ans qu’on aurait pu éviter si j’avais eu la chance de rencontrer un conteur sur ma route, peut-être…

En tout cas, cette maman ne donnera pas de médicaments à Liam. Il a prouvé qu’il ne souffrait pas de déficit de l’attention ni d’hyperactivité. Ni de rien en fait. C’est un garçon passionné, intelligent, concentré sur ses besoins. 

 

Cette histoire est un exemple, juste une expérience. 

Ça pourrait être vu comme un miracle mais c’est bien plus que cela. C’est la réalité de notre vie de conteurs et conteuse quand nous acceptons de servir la magie des  contes, tout simplement. 

 

 Julos Beaucarne a  dit « Nous sommes le seul à connaître le chemin qui mène au bout de notre chemin ».

Beau chemin à toi Liam. 

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